Sous­crip­tion

Le chapitre 5 « Réglementation et durabilité » a abordé la gestion des risques en relation avec les risques de durabilité du secteur de l’assurance. Il faut faire la distinction entre la gestion des risques au niveau de l’entreprise et la souscription de risques individuels, c’est-à-dire la mise en œuvre opérationnelle de la gestion des risques.

En la matière, la prise de risques est une caractéristique essentielle des assureurs. Les compagnies d’assurances prennent en charge des risques et indemnisent les répercussions financières des dommages subis par certaines personnes en puisant dans les primes acquittées par l’ensemble des assurés. Les assurés forment ainsi une communauté solidaire.

« Avec leur politique de souscription, les compagnies d’assurancesdisposent d’un puissant levier pour pousser les entreprises à tenir compte de la durabilité sur le long terme. »

Salomè Vogt, ancienne responsable d’Avenir Jeunesse auprès d’Avenir Suisse

Concernant la durabilité, la question se pose de savoir comment traiter la prise en charge des risques en la matière. Quels sont les risques considérés, par exemple au regard des conséquences du changement climatique ? Lesquels sont systématiquement exclus parce qu’ils ne sont pas assurables ou parce que les compagnies ne sont pas disposées à les assumer pour des raisons éthiques ou de réputation ?

 

Prise de conscience des risques de durabilité

Lorsqu’un risque doit être assuré et que le produit permet en principe de le prendre en charge, les assureurs procèdent à un examen du risque dans le cadre de la souscription individuelle. Cet examen comporte notamment une évaluation du risque concret. Jusqu’à présent, cet élément du processus de souscription se concentrait principalement sur l’acceptabilité du risque considéré du point de vue de l’assureur concerné.

Au cours des dernières décennies, les compagnies d’assurances sont devenues de plus en plus sensibles aux risques de réputation. Bien que les contrats d’assurance dans le domaine de l’assurance non-vie et de la réassurance aient généralement une durée d’un an, ils sont souvent reconduits pendant des décennies.

Ce sont donc des relations partenariales qui s’instaurent entre les clients et leur assureur. Au regard de la durée des relations d’assurance, l’évaluation du risque de réputation est délicate, car la prise de décision ne doit pas seulement tenir compte de la perception actuelle de l’image de la compagnie par la société dans son ensemble, mais aussi, de manière générale, de son évolution possible.

L’importance de l’évolution des risques ainsi que des risques de réputation dans le processus de souscription est reconnue. C’est la raison pour laquelle certains assureurs élaborent des directives de souscription à l’intention de leurs collaborateurs afin de garantir un traitement uniforme des risques de durabilité, en accord avec la stratégie de l’entreprise.

 

Au sein du secteur suisse de l’assurance, il ressort d’un sondage effectué auprès des compagnies membres de l’ASA que la gestion des risques de durabilité au niveau de la direction (senior management) relève en grande partie du programme de développement durable.

Les risques de durabilité sont parfois formulés explicitement et intégrés dans des corpus de règles idoines existants ou nouveaux. Dans un tel cas, la responsabilité des risques de durabilité est du ressort des services spécialisés des entreprises et passe par des processus de gouvernance définis qui impliquent différents départements. Dans ces entreprises, la responsabilité finale incombe au conseil d’administration.

 

Intégration des critères de durabilité

Le secteur de l’assurance se caractérise par différents modèles économiques. Au regard des risques climatiques, un assureur régional spécialisé dans les dommages matériels et économiques affiche par exemple un positionnement très différent de ce-lui d’un réassureur exerçant au niveau mondial.

Les compagnies d’assurances actives à l’international ont donc intégré les risques de durabilité plus tôt que celles dont l’activité est essentiellement domestique, voire internationale, mais dans une mesure moindre. La différence de degré d’intégration évoquée entraîne des divergences dans l’élaboration des rapports et dans le contrôle systématique des processus définis pour la souscription relative aux risques de durabilité.

Les compagnies d’assurances internationales qui établissent des rapports spécifiques se concentrent désormais sur une approche globale des risques de durabilité, y compris sur leurs répercussions financières directes.

Une expertise croissante des compagnies d’assurances en matière de risques de durabilité per-met en outre d’inciter les partenaires commerciaux à modifier ou à renoncer à des comportements et des processus considérés comme non durables.

Les assureurs privés qui n’exercent pas ou peu à l’international et qui ont déjà procédé à une intégration se concentrent plutôt sur la réduction des risques de réputation en lien avec les risques de durabilité. Outre le retrait de l’assureur concerné de certaines activités économiques présentant des risques de durabilité potentiellement élevés, ce sont surtout les conseils apportés pour soutenir la transformation vers une économie à faible émission de carbone qui revêtent une grande importance.

Le retrait complet de certains secteurs d’activité n’est utilisé qu’avec parcimonie et uniquement en dernier recours. Une expertise croissante des compagnies d’assurances en matière de risques de durabilité permet en outre d’inciter les partenaires commerciaux à modifier ou à renoncer à des comportements et des processus considérés comme non durables.

Dans le cadre de cette transition, il s’agit de considérer les opportunités et les risques de la même manière. Par exemple, la transition économique entraînera des pertes d’emplois dans les secteurs présentant des risques élevés, comme ceux dont les modèles économiques reposent principalement sur les énergies fossiles, tandis que les modèles économiques durables, notamment ceux des acteurs de l’écotechnologie (cleantech), créeront de nouveaux emplois.

 

Les défis actuels pour la branche

La souscription, et par ricochet, l’évaluation des risques, consiste en un processus hétérogène qui se complexifie par ce nouvel accent mis sur la durabilité, car d’autres aspects doivent alors être pris en compte pour une appréciation globale des risques orientée vers l’avenir. Il s’agit par exemple d’évaluer de nouvelles technologies respectueuses du climat ou de vérifier des aspects sociaux.

La base de données souhaitée n’est pas toujours directement disponible. En gestion des produits comme en souscription, les compagnies d’assurances doivent se poser des questions stratégiques et opérationnelles pour intégrer des critères de durabilité. Les réponses varient en fonction du modèle économique ou du domaine d’activité, et les assureurs les mettent en œuvre individuellement.

Rendre les critères de durabilité opérationnels constitue l’un des plus grands défis à l’heure actuelle. Avec ses lignes directrices aujourd’hui bien établies relatives aux secteurs sensibles et aux pratques commerciales veillant au respect des droits humains fondamentaux et du droit du travail ou à la gestion du changement climatique, le segment des grands comptes (clientèle d’entreprises) arrive mieux à mettre ces critères en œuvre que le secteur de la vente au détail (clientèle de particuliers), qui comprend par exemple les assurances des véhicules à moteur et celles des bâtiments.

De l’aide peut être apportée par les fournisseurs de données qui mettent à disposition des paramètres de durabilité pour la classification des risques ainsi que par le transfert de connaissances via des associations internationales telles que l’Initiative Finance du Programme des Nations-Unies pour l’environne-ment (UNEP FI) – Principes pour une assurance responsable (Principles for Sustainable Insurance, PSI). La ligne directrice des PSI sur la gestion des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance dans les affaires d’assurance non-vie a été partiellement reprise par les compagnies d’assurances suisses et est de plus en plus utilisée dans la définition des risques. Cela permet aux assureurs de définir leur appétence au risque en fonction des segments sectoriels et des couvertures d’assurance.

 

Tribune : L’initiative de l’ONU soutient l’intégration ESGdans le secteur de l’assurance

Tribune de Butch Bacani

Corpus de règles à l’échelle mondiale pour le secteur de l’assurance, les Principes pour une assurance durable (Principles for Sustainable Insurance, PSI) sont approuvés par le Secrétaire général des Nations-Unies et les CEO des grands assureurs.

Il s’agit d’une initiative communautaire mondiale visant à renforcer la contribution du secteur de l’assurance, en sa qualité de gestionnaire de risques, d’assureur et d’investisseur, à l’instauration de sociétés et d’économies durables, inclusives et résilientes sur une planète en bonne santé.

L’assurance durable vise la réduction des risques, l’élaboration de solutions innovantes et l’amélioration des performances afin de contribuer ainsi à la durabilité environnementale, économique et sociale.

 

Approche stratégique le long de la chaînede création de valeur

 

D’après les PSI, l’assurance durable (sustainable insurance) consiste en une approche stratégique dans le cadre de laquelle toutes les activités de la chaîne de création de valeur d’une compagnie d’assurances sont exécutées de manière responsable et tournée vers l’avenir, en identifiant, évaluant, gérant et contrôlant les risques et les opportunités en lien avec les questions relatives aux critères environne-mentaux, sociaux et de gouvernance (ESG - Environment, Social, Governance).

L’assurance durable vise la réduction des risques, l’élaboration de solutions innovantes et l’amélioration des performances afin de contribuer ainsi à la durabilité environnementale, économique et sociale.

En juin 2020, les PSI ont publié les toutes premières lignes directrices pour l’intégration de critères ESG en affaires non-vie. Elles comprennent des exemples de réflexions et d’approches durables dans le secteur de l’assurance couvrant un large éventail de questions en lien avec les critères ESG : du changement climatique, de la dégradation des écosystèmes, de la pollution, du bien-être et de l’expérimentation animale aux pots-de-vin et à la corruption en passant par le travail des enfants et les armes controversées.

Les lignes directrices mettent en évidence huit domaines pour lesquels elles décrivent des mesures possibles afin que les assureurs puissent gérer les risques ESG dans les affaires d’assurance en se concentrant sur l’évaluation des risques et la souscription.

Ces domaines comprennent le développement d’une approche ESG interne à l’entreprise et de l’appétence aux risques correspondante, l’intégration des questions liées aux critères ESG dans l’organisation de l’entreprise, la définition des rôles et des responsabilités en la matière, la procédure pour faire remonter aux décideurs les questions liées aux risques ESG, l’identification et l’analyse des risques ESG ainsi que la prise de décision et l’établissement de rapports sur les risques ESG.

 

Intégration des critères ESG dans le modèleéconomique

Les lignes directrices visent également une sensibilisation accrue aux avantages potentiels d’une intégration des critères ESG dans le modèle économique des compagnies d’assurances, comme la réduction des risques de réputation, les réponses apportées aux attentes de la société, la reconnaissance des avantages financiers des clients affichant de bonnes performances ESG, ainsi que l’implication et le soutien des clients et des collaborateurs.

A propos de l’auteur
Butch Bacani est le chef de programme de l’Initiative Principes pour une assurance durable du Programme des Nations-Unies pour l’environnement