Le sys­tème d’en­ga­ge­ments con­di­tion­nels en cas de séisme : une fausse bonne idée

Listicle01 février 2024

Les tremblements de terre sont certes rares, mais ils peuvent causer d'immenses dommages économiques et avoir de graves conséquences sociales. Mais jusqu'à présent, seule une minorité de la population s'est assurée contre ce risque. Le Conseil fédéral veut changer cela avec une « assurance contre les tremblements de terre au moyen d’un système d’engagements conditionnels ». Nous expliquons de quoi il s'agit et pourquoi l'ASA rejette la proposition.

En Suisse, les tremblements de terre, bien que très rares, sont clairement le danger naturel présentant le plus grand potentiel de dommages en raison de la densité de population et de la forte concentration de biens matériels. C'est ce que montre également le nouveau modèle de risque sismique du Service sismologique suisse à l'EPF de Zurich. La bonne nouvelle : les tremblements de terre sont assurables par le secteur privé, car ils remplissent toutes les conditions d'assurabilité. La mauvaise nouvelle : seuls 15 pour cent environ des propriétaires de maisons de notre pays sont assurés à ce jour contre les dommages causés par les tremblements de terre. En cas de tremblement de terre, il faut donc s'attendre actuellement à un énorme « Protection Gap » - écart entre les dommages survenus et ceux assurés. 
La politique suisse s'est fixé pour objectif de combler cette lacune en matière d'assurance. En 2021, le Conseil fédéral a donc été chargé par le Parlement d'élaborer une proposition « d'assurance contre les tremblements de terre par un système d'engagements conditionnels ». Pour cela, une modification de la Constitution est nécessaire. La procédure de consultation correspondante a été ouverte et court jusqu'à fin mars 2024.

« Assurance tremblement de terre par un système d'engagements conditionnels »

Un système d'engagements conditionnels, tel que demandé par le Parlement, n'est pas une assurance au sens strict du terme, mais l'obligation d'être solidairement responsable en cas de sinistre. Cela signifie qu'après un tremblement de terre, les propriétaires d'immeubles devraient payer 0,7 pour cent de la valeur assurée du bâtiment. Ce prélèvement a posteriori est en contradiction avec le caractère préventif d'une assurance tremblements de terre, pour laquelle des primes sont payées chaque année. De plus, l'obligation éventuelle se limite aux dommages causés aux bâtiments et ne couvre ni l'inventaire du ménage ni les biens mobiliers.

Si l'Association Suisse d'Assurances ASA salue la volonté du législateur de trouver une solution au risque sismique, elle rejette le système d’engagements conditionnels pour les six raisons suivantes.

Une assurance par le biais d’engagements conditionnels est inutile

Les trem­ble­ments de terre con­sis­tent en un risque as­su­rable par le sec­teur privé. La po­pu­la­tion et les ac­teurs éco­no­miques peu­vent d'ores et déjà s'as­su­rer contre les trem­ble­ments de terre.

Con­crè­te­ment : Le risque sis­mique rem­plit toutes les con­di­tions de l'as­su­ra­bi­lité : évé­ne­ment aléa­toire, in­dé­pen­dant, uni­voque, con­nais­sance de la ré­par­ti­tion des dom­mages, pré­vi­si­bi­lité de la prime ainsi que ca­pa­ci­tés d'as­su­rance exis­tantes. Les trem­ble­ments de terre cons­ti­tuent un risque cal­cu­lable qui s’ap­puie sur une im­por­tante quan­tité de don­nées et un nombre crois­sant de mo­dèles de risques. Les trem­ble­ments de terre étant as­su­rables, la po­pu­la­tion et les en­tre­prises suisses ont déjà le choix entre une mul­ti­tude de pro­duits d'as­su­rance sis­mique, et leur nombre va crois­sant. Ceux-ci couvrent aussi bien les dom­mages aux bâ­ti­ments que ceux aux biens meubles et à l'in­ven­taire du mé­nage, les dom­mages de pertes d'ex­ploi­ta­tion ainsi que les pertes de re­ve­nus lo­ca­tifs. Une so­lu­tion de droit pu­blic qui s’ap­pli­que­rait uni­que­ment aux bâ­ti­ments est inu­tile.

Le système d’engagements conditionnels est incomplet

Le sys­tème d’en­ga­ge­ments con­di­tion­nels n'offre au­cune cou­ver­ture d'as­su­rance pour l’in­ven­taire du mé­nage ni les biens meubles.

Con­crè­te­ment : Or, en cas de trem­ble­ment de terre, ce sont sur­tout les bâ­ti­ments et les biens meubles qui sont tou­chés (choses mo­biles qui ne sont pas con­si­dé­rées comme fai­sant par­tie in­té­grante du bâ­ti­ment ni comme des ins­tal­la­tions im­mo­bi­lières). S'y ajou­tent les dom­mages ré­sul­tant de l'in­ter­rup­tion de l'ex­ploi­ta­tion et les frais de dé­blaie­ment. Sans par­ler des dom­mages hu­mains (per­sonnes dé­cé­dées ou bles­sées), iné­vi­tables et in­sou­te­nables. Le sys­tème d’en­ga­ge­ments con­di­tion­nels ne couvre tou­te­fois ni l'in­ven­taire du mé­nage ni les biens meubles, il se con­centre ex­clu­si­ve­ment sur l'en­ve­loppe du bâ­ti­ment : c’est un peu court. Par ail­leurs, la li­mi­ta­tion à 0,7 pour cent de la va­leur du bâ­ti­ment tient compte uni­que­ment des dom­mages qui sont au­jour­d'hui fa­ci­le­ment as­su­rables et sup­por­tables. Il n'existe tou­jours pas de so­lu­tion pour les dom­mages ex­cé­dant ce cadre – ils ne sont pas cou­verts par cet en­ga­ge­ment con­di­tion­nel.

Le système d’engagements conditionnels revient à introduire un impôt supplémentaire

Une as­su­rance trem­ble­ment de terre par le biais d'un sys­tème d’en­ga­ge­ments con­di­tion­nels ne con­siste pas en une as­su­rance, mais bel et bien en un im­pôt sup­plé­men­taire.

Con­crè­te­ment : En cas de séisme de grande mag­ni­tude, les pro­prié­taires d’im­meubles se­raient te­nus d’ac­quit­ter un sup­plé­ment à hau­teur de 0,7 pour cent de la va­leur as­su­rée de leur bâ­ti­ment. Cela cor­res­pond à 20 primes an­nuelles en­vi­ron d'une as­su­rance trem­ble­ment de terre du sec­teur privé. Un tel en­ga­ge­ment con­di­tion­nel ne man­que­rait pas d’exer­cer des ef­fets per­vers : les pro­prié­taires im­mo­bi­liers ris­que­raient de ré­duire leurs in­ves­tis­se­ments dans la pré­ven­tion puisque, de toute fa­çon, « fi­na­le­ment, c'est la col­lec­ti­vité qui paie ». Quel de­gré de ré­sis­tance aux séismes est-ce que je choi­sis pour ma cons­truc­tion ? Com­bien d’ar­gent est-ce que je sou­haite in­ves­tir dans la sé­cu­rité des bâ­ti­ments ? À l’heure ac­tuelle, les in­ves­tis­seurs et les pro­prié­taires im­mo­bi­liers pren­nent leurs dé­ci­sions de ma­nière au­to­nome et con­tri­buent à la ré­si­lience par leurs choix. 

La taxe exerce un effet amplificateur de la crise

L'in­tro­duc­tion d'une taxe pa­ra­fis­cale con­co­mi­tam­ment à une ca­tas­trophe exerce un ef­fet pro­cy­clique.

Con­crè­te­ment : L'État de­man­de­rait aux pro­prié­taires im­mo­bi­liers d’ac­quit­ter une taxe sup­plé­men­taire juste au mo­ment où ils sont déjà tou­chés par une ca­tas­trophe. En cas de séisme de grande mag­ni­tude, les pro­prié­taires im­mo­bi­liers de­vraient ver­ser à l'État 0,7 pour cent de la va­leur as­su­rée de leur bâ­ti­ment à titre de taxe. Cela risque d'ag­gra­ver la ré­ces­sion iné­vi­ta­ble­ment en­traî­née par un tel séisme. 

L'applicabilité de ce système est discutable

En cas de séisme ma­jeur, il est im­por­tant que les fonds des­ti­nés à la re­cons­truc­tion soient dis­po­nibles ra­pi­de­ment. Or, rien n’est moins sûr avec un sys­tème d’en­ga­ge­ments con­di­tion­nels.

Con­crè­te­ment : Pour per­mettre une re­cons­truc­tion ra­pide, des moyens fi­nan­ciers doi­vent être mis à dis­po­si­tion im­mé­dia­te­ment après le si­nistre. L’ap­pli­ca­tion d'un sys­tème d’en­ga­ge­ment con­di­tion­nel sou­lève toute une sé­rie de ques­tions : Qu'en est-il de la ca­pa­cité de paie­ment en cas de ca­tas­trophe ? Com­ment pro­cé­der en cas de re­tards ou de re­fus de paie­ment ? Quid des pro­prié­taires de biens im­mo­bi­liers si­tués à l'étran­ger ? En outre, un re­cou­vre­ment com­plexe et gé­né­ra­lisé im­plique iné­vi­ta­ble­ment une charge ad­mi­nis­tra­tive sup­plé­men­taire non né­gli­geable.

Le système d’engagement conditionnel dessert la place d'assurance suisse

Une so­lu­tion éta­tique em­pêche toute par­ti­ci­pa­tion in­ter­na­tio­nale à la ré­so­lu­tion de la crise.

Con­crè­te­ment : Les trem­ble­ments de terre étant as­su­rables, ces risques peu­vent être di­ver­si­fiés en les trans­fé­rant sur le mar­ché mon­dial de la réas­su­rance. Comme dans le cas d'autres dan­gers na­tu­rels tels que la grêle, les tem­pêtes ou les inon­da­tions, les réas­su­reurs in­ter­na­tio­naux – dont beau­coup ont éta­bli leur siège en Suisse – as­sis­tent les as­su­reurs dans la maî­trise com­mune des si­nistres ma­jeurs. En in­tro­dui­sant un sys­tème d’en­ga­ge­ments con­di­tion­nels, la Suisse mi­se­rait sur une so­lu­tion or­ches­trée par les pou­voirs pu­blics et res­treinte au ni­veau na­tio­nal, plu­tôt que de s’ap­puyer sur des so­lu­tions de ges­tion de crise éprou­vées et sou­te­nues à l’in­ter­na­tio­nal.

Maîtrise des risques avec l’assurance des dommages naturels

Pour les neuf dangers naturels que sont les inondations, les chutes de grêle, les tempêtes, les crues, les avalanches, les éboulements de rochers, la pression de la neige, les chutes de pierres et les glissements de terrain, la Suisse dispose d'une assurance des dommages naturels unique au monde (les tremblements de terre ne relèvent pas de cette assurance des dommages naturels). Les catastrophes naturelles peuvent provoquer des dommages considérables. Ces phénomènes ne peuvent être couverts par des primes appropriées que si les personnes assurées et les assureurs adoptent un comportement solidaire et supportent ensemble le risque. Le concept de l'assurance des dommages naturels repose donc sur une double solidarité : les personnes assurées et les assureurs assument ensemble le risque des dommages causés par les forces de la nature.