Ce que veu­lent les as­su­rés

Rapport annuel21 juin 2019

Le professeur Peter Maas est membre de la direction générale de l’Institut d’économie de l’assurance de l’université de St-Gall et coauteur de l’étude «La protection des consommateurs vue par les consommateurs: une étude empirique du marché suisse de l’assurance».

Article tiré du magazine annuel View

Que veulent les assurés? Pendant longtemps, personne ne le savait vraiment. C’est une étude de l’université de St-Gall réalisée en collaboration avec l’ASA en 2015 qui a permis d’y voir plus clair. Qu’est-ce qui a changé depuis? Le professeur Peter Maas, l’un des auteurs de cette étude, nous répond.

Peter Maas

Peter Maas, professeur à l’Institut d’économie de l’assurances de l’université de St-Gall

Monsieur Maas, vous avez examiné de près les souhaits et les craintes des assurés. En quelques mots, que veulent les assurés au fond?

Peter Maas: Comme il s’agissait surtout de « Protection des consommateurs », nous avons commencé par poser la question suivante: à quoi avez-vous vraiment droit? D’après John F. Kennedy, vous avez pour commencer le droit à la sécurité ; dans le cas des assurances, on pourrait vérifier si les compagnies sont suffisamment solvables pour honorer leurs engagements à tout moment. Deuxièmement, vous avez le droit à l’information; troisièmement, le droit d’être entendu et, quatrièmement, celui de choisir.

Et qu’en est-il de ces droits? Sont-ils respectés?

Concernant la sécurité, les dispositions réglementaires en vigueur garantissent une bonne protection des assurés. Quant à l’information, nous constatons que nombre de clients se sentent dépassés. Les connaissances en finance et en assurance ne sont pas particulièrement pointues. Un coach numérique pourrait être une solution par exemple. En ce qui concerne le droit d’être entendu, l’ombudsman est une excellente chose. Ceux qui ont eu affaire avec cet organisme en sont contents. Il est vrai que seulement un quart des personnes interrogées ont entendu parler de ce service de médiation. Il faudrait le faire connaître davantage. Pour ce qui est du droit de choisir, nous constatons qu'il faut aussi parler des coûts induits par la réglementation. Lorsqu’une offre n’est plus rentable pour cause de réglementation trop stricte, alors les prestataires se retirent du marché. On le voit bien avec les affaires d’assurance complète du deuxième pilier. Un excès de réglementation peut donc conduire à un resserrement de l’offre, et donc du choix, ce qui n’est pas dans l’intérêt des assurés.

Ce constat a-t-il évolué ces dernières années?

Rien ne permet de dire que les choses ont fondamentalement changé. 

Quelles conclusions en tirez-vous?

D’une part, il est nécessaire de parler des coûts de la réglementation et de sensibiliser les assurés en la matière. Le consommateur est-il prêt à acquitter des primes plus élevées en échange d'une protection accrue? C’est LA question à poser par excellence. D’autre part, l’étude a montré que tous les clients n’ont pas forcément envie d'un même degré de protection, car ils se sentent compétents et responsables.

Si ce sont les prestataires qui se chargent eux-mêmes de l’information aux clients, les conflits d’intérêts ne sont-ils pas inévitables?

Chaque client est responsable de l’image qu’il se fait d'une offre ou d'un produit. Cela participe de la nature de tout contrat. Par ailleurs, la dose de confiance accordée relève également d'une décision individuelle.

Certes, mais l’assurance est un domaine complexe et les connaissances en la matière plutôt limitées. Que pensez-vous des portails comparatifs sur Internet?

Une assurance est un produit individuel. Son prix est fonction de l’âge, de la situation personnelle, du domicile, du mode de vie ou encore du fait que la voiture est stationnée dans un garage ou non. En conséquence, les comparaisons sont difficiles. On compare des choses qui ne sont pas homogènes. Naturellement, de tels portails peuvent donner des idées. Mais ils peuvent aussi induire en erreur. Les palmarès peuvent par exemple être achetés, ou les distorsions ne pas être présentées avec suffisamment de transparence.

Quel rôle peuvent donc jouer les organisations classiques de défense des consommateurs?

Elles ont souvent leur propre programme et elles défendent aussi leurs intérêts propres. De plus, il leur faut régulièrement faire les gros titres et soulever des lièvres pour ne pas tomber dans l’oubli. Elles font sûrement du bon travail, mais il leur arrive aussi de manquer leur cible.

Comment expliquez-vous le fait que la population connaisse si mal les assurances?

Les assurances portent souvent sur des choses que nous préférons refouler: la maladie, les accidents, la mort. En outre, il s’agit là d'une matière complexe. Mais, c’est la même chose dans d’autres domaines, dans le secteur bancaire par exemple. C’est la raison pour laquelle la relation du client avec le conseiller est importante, même si chacun doit avoir bien conscience que le conseiller défend aussi son propre intérêt et qu'il ne propose que ses propres produits. C’est exactement la même chose avec les concessionnaires automobiles. C’est seulement en cas de sinistre que le client pourra alors se rendre compte si son assurance ou son conseiller sont vraiment bons. En Angleterre, il y a eu des cas flagrants de mauvaises prestations de conseil, en particulier dans le domaine des assurances-vie. Certes, le client peut alors difficilement faire valoir son bon droit, mais de telles affaires ne sont pas bonnes non plus pour l'image de la branche. Il est donc recommandé de proposer des services les plus transparents et efficaces possibles.

Que pensez-vous de la qualité du conseil?

La majorité des conseils sont bons. Cela transparaît aussi dans le niveau élevé des marges. Là encore, il y a un revers de la médaille: les mauvaises langues pourraient prétendre que le client paie trop cher.

La concurrence n’est-elle pas assez prononcée dans ce domaine?

Comme partout ailleurs, en assurance aussi, il y a des tendances protectionnistes. Une réglementation dense contribue ici aussi, comme dans tous les autres secteurs économiques, à freiner l’arrivée de nouveaux concurrents sur le marché. C’est presque une lapalissade, mais une concurrence accrue contribue plutôt à générer des gains en efficience et des marges plus petites; elle est donc plutôt une bonne chose pour les consommateurs.

Tout le monde se plaint des primes élevées des caisses-maladie, mais rares sont ceux qui changent de caisse. La concurrence ne joue-t-elle pas un rôle si important que cela en assurance ?

Nombre d’assurés ont vraisemblablement bien compris les règles du jeu. Bien souvent, changer d’assureur n’est pas rentable du fait de la compensation des risques voulue par les politiques. La caisse qui est bon marché aujourd’hui parce qu’elle a bien géré ses affaires sera plus chère demain à cause de la compensation des charges. Ce serait un sujet de recherche intéressant: que vaut-il mieux faire sur la durée, changer ou rester? 

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