Tout le monde est gag­nant avec un mar­ché libre du lo­ge­ment

Commentaire02 juin 2023

Pénurie de logements, loyers en hausse : chacun en appelle alors à l’intervention de l'État. Réflexe injustifié.

En Suisse, il manque chaque année 10 000 logements environ. La raison : les constructions sont trop peu nombreuses – parallèlement, la population augmente. Une grave pénurie menace le marché suisse du logement. En conséquence, non seulement il devient de plus en plus difficile de se loger, mais les loyers grimpent aussi.

Et les coupables de cette crise sont vite désignés : les investisseurs institutionnels et leur « soif de rendement ». En d'autres termes : le marché libre. Des voix s’élèvent dès lors en faveur de programmes de logements sociaux, de subventions pour les coopératives et d’un encadrement des loyers par l'État. Réflexe justifié ?

Michele Salvi

Michele Salvi est économiste en chef à l'ASA.

Les assureurs jouent un rôle non négligeable

Si près de la moitié des logements locatifs sont encore la propriété de particuliers, les investisseurs institutionnels jouent depuis quelques années un rôle grandissant. En moyenne suisse, un tiers des logements locatifs appartiennent à des compagnies d'assurances, des caisses de pension ou des fonds de placement. Selon une estimation grossière de Wüest & Partner, un quart d'entre eux environ sont détenus par des assureurs suisses.

Pour les assureurs privés en particulier, les biens immobiliers constituent une catégorie de placement importante. À l’heure actuelle, près de dix pour cent de leurs placements sont investis dans l'immobilier. L’acquisition de biens immobiliers leur permet de s’assurer des revenus locatifs réguliers. Par ailleurs, ils ont gonflé leur parc immobilier ces dernières années en remplacement des revenus d’obligations arrivant à échéance. En conséquence, les portefeuilles immobiliers – à l’instar des activités d'assurance elles-mêmes – s’inscrivent dans une perspective à long terme.

Des investisseurs responsables

Les assureurs privés privilégient des portefeuilles immobiliers diversifiés. Ils ne mettent donc pas l'accent seulement sur certains segments, comme les appartements de luxe. Cette diversification des portefeuilles immobiliers repose sur de nombreux facteurs : la qualité du site, l’utilisation des biens ou encore leur âge. Les biens immobiliers résidentiels relativement bon marché constituent également une catégorie non négligeable, car ils peuvent s’avérer très résistants aux corrections de valeur, notamment pendant les phases de fluctuations conjoncturelles.

En l’occurrence, la hausse des loyers ne résulte pas d'une maximisation spéculative des bénéfices générés par le portefeuille immobilier mais découle, en général, directement de l'augmentation des coûts. Le récent relèvement du taux de référence des loyers traduit cette évolution. L'inflation, le relèvement des taux d’intérêt et l’augmentation des charges, autant de facteurs qui pèsent sur les propriétaires. Or, ces hausses des coûts ne peuvent être répercutées sur les loyers ou les charges que jusqu’à un certain point. Par ailleurs, les loyers en hausse reflètent aussi le renchérissement des coûts de la construction ainsi que la hausse de la demande. Ils constituent un signal de prix fort.

À cet égard, il convient également de souligner qu'une grande partie des locataires investissent directement ou indirectement dans des projets immobiliers via leurs fonds de prévoyance et ont donc également tout intérêt à ce que ces fonds génèrent des rendements. Les compagnies d'assurances, en particulier, assument une double responsabilité : à charge pour elles, en leur qualité de propriétaires, de répondre aux besoins des locataires en matière de logements abordables et attrayants – et, en leur qualité d'investisseurs, de placer les fonds des personnes assurées de manière rentable et diversifiée. Les revenus locatifs participent largement au respect de leurs obligations envers les personnes assurées, notamment dans le cadre de la prévoyance professionnelle.

Par ailleurs, par ses investissements dans le secteur immobilier, le secteur de l'assurance a aussi énormément contribué ces dernières années à la création de nouveaux logements et à la rénovation du parc immobilier existant. Cet engagement accru n’explique toutefois pas la hausse des loyers – bien au contraire. En effet, la construction de logements de luxe permet également d'augmenter le nombre de logements abordables. Dans les centres économiques, comme Zurich, qui attirent les hauts revenus, il existe une demande pour de tels logements. Si l'offre se raréfie pour les locataires aisés, ils se tournent alors vers des logements meilleur marché, et c’est à ce moment-là que les prix se mettent à grimper. En conséquence, les logements construits pour le marché libre contribuent à la baisse des loyers sur le marché du logement dans son ensemble.

Améliorer les conditions du marché

Lorsque l'offre de logements est trop juste et que la demande augmente, les prix augmentent également. Sur un marché libre, la forte demande de quartiers résidentiels recherchés ne manquerait pas de stimuler la construction et se traduirait par une augmentation du nombre de logements. Or, le marché du logement est loin d'être un marché vraiment libre. Les causes de la crise du logement sont ailleurs.

Il faut plutôt les chercher dans le réflexe qui consiste à systématiquement attendre de l'État qu'il intervienne. Autant le principe de l'offre et de la demande est évident : plus le marché doit se soumettre à des conditions et à des réglementions, plus il se complexifie et devient inefficace. De nos jours, l'aménagement du territoire et la planification des zones restreignent déjà fortement l'extension de l'offre. Sans compter que les propriétaires ne peuvent pas augmenter à volonté les loyers des locataires en place. 

S’en remettre tête baissée à la réglementation n'est pas une solution. Au lieu de définir sans cesse de nouvelles dispositions réglementaires qui étouffent le marché, il est temps que les politiques réfléchissent et instaurent des conditions d’exercice dans lesquelles celui-là peut fonctionner. Il s’agit notamment du relèvement des coefficients d’utilisation du sol, de l'accélération des procédures de délivrance de permis, de la restriction des prescriptions en matière de protection contre le bruit et de sauvegarde du patrimoine ainsi que de la réduction des recours possibles. Parallèlement, les personnes dans le besoin peuvent bénéficier d'un soutien direct afin d'alléger le poids des loyers sur leur budget. Mais en principe, tout le monde profite d'un marché du logement libre, pas seulement les investisseurs.

Ce commentaire a été publié le 2 juin 2023 sur handelszeitung.ch/insurance.