Panne d’élec­tri­cité, un risque émer­gent

Contexte15 juin 2022

Un black-out à grande échelle, s'étendant sur plusieurs pays, mettrait hors service l'ensemble de l'économie pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, et pèserait significativement sur l'ordre public.

Au moins depuis la parution du roman à succès « Blackout - Demain il sera trop tard » de Marc Elsberg, tout un chacun peut s'imaginer le potentiel énorme de dommages qui résulterait de la disparition de l’énergie électrique. Un tel black-out ne représenterait pas seulement un défi financier, mais aussi un défi social et sociétal pour la région touchée. Tout cela n’est-il que fiction ? Dans la négative, qu'en est-il du risque de black-out ?

 

Description du risque

L'Office fédéral de la protection de la population (OFPP) a publié en novembre 2020 deux dossiers, l'un sur le risque de pénurie d'électricité et l’autre sur celui de panne d’électricité (black-out), dans lesquels il donne des définitions, fournit des exemples, précise les facteurs d'influence et présente des scénarios possibles. Pour l’essentiel, la pénurie d’électricité caractérise un état du réseau électrique où la production et la demande ne coïncident pas à un moment donné, c'est-à-dire que les capacités de production sont épuisées au niveau régional ou national et ne peuvent plus couvrir la demande. Ce « déficit d'électricité » doit alors être comblé « de l'extérieur ». Se pose alors immédiatement la question de la définition de la taille d'un réseau électrique. Le réseau électrique suisse est physiquement intégré au réseau européen, c'est-à-dire qu'il en fait partie. Les réseaux ne peuvent donc pas être fermés par des barrières comme les frontières. Par conséquent, une pénurie nationale d'électricité devrait être couverte par les réserves de production des pays voisins. Si celles-ci ne sont pas disponibles, il faut délester le réseau d’autant de consommateurs ou de sources de consommation que nécessaire pour que la demande corresponde à la capacité de production nationale. Ces délestages contrôlés et intermittents prennent la forme de pannes d’électricité locales et canalisées et permettent d'éviter un black-out incontrôlé à grande échelle.

D’une manière générale, une panne d’électricité à grande échelle peut être la conséquence directe d’un déséquilibre entre consommation et production en raison d’un manque de production (pertes ou insuffisance), d’un manque de capacité (surcharge), de problèmes de synchronisation, de chute de fréquence ou de tension.

Ces problèmes peuvent être dus, outre aux pénuries d’électricité mentionnées ci-avant, également à des accidents ou des incidents (intempéries, négligence, sabotage, tempêtes solaires, etc.), à des perturbations météorologiques (foudre, tempête, gel, inondations, etc.), à la déconnexion ou à la défaillance d’installations (lignes, centrales, mécanismes de protection, etc.) ou à des défaillances humaines (failles de sécurité, prévisions faussées, manque de communication ou de coordination, prise de mesures erronées, etc.).

Le principal problème du système électrique européen réside dans le fait qu'il ne dispose pas vraiment de réserves ni de réelles possibilités de stockage. La production et la consommation doivent être physiquement synchronisées à tout moment. C'est notamment pour cette raison qu'il existe depuis plus d'un siècle une règle en matière d'approvisionnement en électricité en vertu de laquelle chaque pays et chaque région est responsable de son propre approvisionnement en électricité à partir de ses propres ressources, et ce à tout moment de l'année. Cette règle relativement simple est encore en vigueur aujourd'hui dans tous les pays européens. Cependant, ces dernières années, des situations se sont multipliées, essentiellement en hiver, où certains pays n'arrivaient plus à s'approvisionner seuls en électricité à certaines périodes, c'est-à-dire que leur production était confrontée à une demande supérieure à ce que leurs centrales électriques étaient en capacité de fournir.

L'exemple le plus récent remonte à janvier 2021, lorsque la France a dû arrêter 11 réacteurs nucléaires de différentes centrales à cause d'un manque de personnel à la suite de la pandémie de Covid-19. En outre, la situation en Allemagne était également tendue, car en raison de la sortie du nucléaire et du charbon, l'Allemagne n'était plus en mesure non plus de pourvoir à son propre approvisionnement. Les deux pays ont été obligés d’acheter des quantités considérables d'énergie à la Bulgarie et à la Roumanie pour combler leurs déficits en électricité.

En Bulgarie et en Roumanie, les centrales à charbon restantes, aussi anciennes soient-elles, ont alors dû fonctionner à plein régime afin d'assurer l'approvisionnement de ces deux pays. Des quantités gigantesques d'électricité ont ainsi été transportées à travers l'Europe, ce qui a provoqué une surcharge au niveau d'un tableau électrique, lequel est tombé en panne, et a entraîné une brusque chute de tension divisant alors le réseau électrique européen interconnecté. Il en a résulté une pénurie dans le nord-ouest, c'est-à-dire qu'en France et en Allemagne, toutes les réserves ont été connectées au réseau et des consommateurs ont parfois dû être déconnectés. En revanche, le sud-est de l'Europe a connu une suralimentation considérable, ce qui signifie que des centrales du même ordre de grandeur ont dû brusquement être déconnectées du réseau afin de maintenir la stabilité de la fréquence.

Cette situation a clairement mis en évidence le fait que si des pays ne sont plus en mesure d’assurer à tout moment leur propre approvisionnement et se retrouvent contraints d’acheter de l'énergie sur le marché, cer-taines portions du réseau électrique risquent d’être poussées à la limite de leurs capacités, ce qui affecte alors grandement leur résilience. Cela accroît le risque de black-out. Viennent s’ajouter d’autres facteurs aggravants de la transition énergétique comme l'augmentation de la consommation d'électricité due aux changements de comportement des utilisateurs (passage du chauffage à l’énergie fossile aux pompes à chaleur, électrification des transports individuels, etc.) ainsi que l’expansion et le commerce transfrontière, entre autres, de sources d'énergie renouvelables non garanties et l'abandon progressif, motivé par des raisons politiques, de l’énergie produite par les centrales nucléaires, à charbon et à pétrole, jusque-là productrices d’énergie garantie.

Au niveau des réseaux, ce tournant énergétique signifie avant tout des charges beaucoup plus élevées en raison des livraisons d'électricité interrégionales. La colonne vertébrale de l'infrastructure du réseau européen a été conçue au milieu du siècle dernier de manière que chaque pays soit en mesure de s'approvisionner par ses propres moyens. Cela signifie qu’en cas de survenance d'un dommage, comme la panne d'une centrale électrique, les lignes transfrontières sont dimensionnées de sorte que la panne d'une ou deux centrales électriques puisse être compensée pratiquement par-delà les frontières. Ces réseaux n'ont toutefois pas été construits pour que des pays entiers puissent s'approvisionner chez leurs voisins.

Une pénurie d'électricité telle que décrite ci-dessus pourrait en principe se produire à tout moment et entraî-ner des pannes générales d’électricité (black-outs) en cas de production insuffisante. La Suisse est surtout menacée à la fin de l'hiver, lorsque les lacs de retenue sont vides et que l'eau de la fonte des neiges ne peut pas encore être transformée en électricité par les centrales hydroélectriques. Si l'on ajoute à cela une vague de froid, une capacité de transport électrique limitée et la panne d'une centrale nucléaire, il faudrait se délester de certaines charges, ce qui pourrait conduire à des black-outs.

 

Découvertes scientifiques

Les transports d’électricité transrégionaux affaiblissent la résilience de la production décentralisée, le stockage de l'énergie et les consommateurs locaux en tant qu'entités stables (notamment en cas de situations de pénurie locales). Il faudrait que l'écologisation de la production ainsi que les changements de comportement des consommateurs qui se traduisent par une hausse de la consommation électrique soient compensés par une augmentation correspondante des capacités de stockage de l’énergie afin de préserver la sécurité d'approvisionnement habituelle. Les délestages pendant les périodes de pénurie d'électricité sont en outre des scénarios non éprouvés qui sollicitent énormément la résilience des réseaux électriques et peuvent, au pire, conduire à des pannes d’électricité généralisées de grande ampleur.

 

Perception du risque

Certes, les médias ont déjà traité la problématique de la panne générale d’électricité (black-out) par le passé. La télévision suisse alémanique (SRF) l'a également abordé dans le reportage « Blackout – das Experiment » (Black-out – l’expérience).

Le scénario de la pénurie d'électricité et d'une panne générale potentiellement à grande échelle, ainsi que les risques y afférents, ne sont néanmoins pas encore pleinement perçus par la population dans toute leur am-pleur. Un black-out à grande échelle, s'étendant sur plusieurs pays, mettrait hors service l'ensemble de l'économie pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, et pèserait significativement sur l'ordre public.
Comme nous l'avons déjà indiqué, les autorités responsables ont reconnu le risque de pénurie d'électricité ou de panne générale d’électricité (black-out). En ce qui concerne les pannes d’électricité (voir « Domaine tech-nique »), l'OFPP décrit trois scénarios : « intensité considérable, intensité majeure et intensité extrême ».

 

Pertinence en matière de responsabilité civile

En matière de responsabilité pour dommages corporels et matériels, l'accent est mis sur les entreprises aux infrastructures critiques, lesquelles devraient disposer d'une alimentation électrique de secours en état de marche (hôpitaux, pouvoirs publics, industrie chimique, etc.).

Les hôpitaux et les médecins risquent de voir leur responsabilité civile engagée en cas de dommages corporels à la suite d'une interruption d’électricité, par exemple parce qu'ils ne peuvent alors plus accéder au dossier du patient et courent le risque de ne pas lui administrer les bons médicaments. Ou encore parce qu'ils doivent interrompre voire suspendre une opération chirurgicale puisqu’ils n'ont pas été en mesure d’assurer un approvisionnement électrique garanti. Dans l'industrie manufacturière, des atteintes à l'environnement sont également envisageables si les systèmes de sécurité ne fonctionnent plus correctement.

Une responsabilité pour des dommages pécuniaires ne saurait être exclue non plus, surtout pour les professions libérales (comme les avocats ou les fiduciaires). De tels professionnels concluent des contrats avec leurs clients selon le droit des mandats et doivent répondre de l’exercice d’une activité minutieuse. Même si, sans électricité, ils ne peuvent plus accéder à leurs fichiers informatiques, etc., il est fort probable qu'ils devront de toute façon remplir leurs obligations par d'autres moyens et avec tout le soin requis.

 

Pertinence en matière d'assurance de la responsabilité civile

Si, en raison d'une panne de courant, une activité / un service ne peut pas être exercée / fourni ou ne peut être exercée / fourni qu’imparfaitement et que cela provoque des dommages corporels et / ou matériels à des tiers (également en rapport avec des atteintes à l'environnement), ceux-ci sont couverts par l'assurance responsabilité civile d'entreprise dans le cadre des autres dispositions contractuelles.
Selon le groupe de risques assuré (comme les avocats, les fiduciaires), l'assurance responsabilité civile peut également couvrir les dommages économiques purs. La couverture d'assurance dépend alors des circonstances concrètes qui ont conduit à la survenance du sinistre.

Les assurances responsabilité civile pour les entreprises disposant d'infrastructures critiques sont les premières concernées. Il s'agit notamment des producteurs d'énergie, des exploitants de réseaux électriques, des hôpitaux, des pouvoirs publics, y compris des forces d'intervention d'urgence, des transports publics, de l'industrie chimique ainsi que d'autres entreprises d'approvisionnement.

Mais d'autres « consommateurs d'électricité » aussi (comme les avocats ou les hôpitaux) risquent également de ne plus être en mesure de fournir leurs services à leurs clients ou de ne plus pouvoir exercer correctement leur activité et devoir dès lors répondre de prétentions élevées par des tiers.
En règle générale, les assureurs responsabilité civile évaluent ces risques dans leurs scénarios de gestion des cumuls d’événements et en déduisent les mesures nécessaires.

 

Horizon temporel pour les prétentions assurées

Un black-out peut survenir à tout moment en Suisse, comme expliqué ci-avant.
Afin de minimiser autant que possible les éventuelles futures prétentions, un échange proactif s’impose avec les autorités ainsi qu'avec les entreprises disposant d'infrastructures critiques, ceci dans un souci de prévention.

Définition «risques émergents»

Les nouvelles technologies et l’évolution de la société moderne sont porteuses de nouvelles opportunités, mais aussi de nouveaux risques. Ces risques d’un nouveau genre concernent notre vie future. Du fait de leur évolution dynamique, ils sont difficiles à identifier et à évaluer; c’est ce que l’on appelle les risques émergents. La notion de «risques émergents» n’est pas définie de manière uniforme. En assurance, elle désigne habituellement les risques possiblement susceptibles de survenir dans le futur et affichant une potentialité de sinistres élevée.