Bloc théo­rique et dé­fi­ni­tions

15 juin 2022

Définition des « risques émergents »

La notion de « risques émergents » n’est pas définie uniformément dans le secteur de l'assurance. Le verbe « émerger » vient du latin et signifie « sortir de l’eau, se manifester, se produire ou encore apparaître ». Appliqué aux risques, cela exprime qu'ils apparaissent à l'horizon avec des contours flous et représentent un type de futur danger éventuel. Cette problématique s'est manifestée ces dernières années dans le domaine du changement climatique notamment, de la pandémie ainsi que dans les exemples suivants : cyberrisques, nanotechnologie, Internet des objets (Internet of Things) ou Industrie 4.0.

Les risques émergents se distinguent des risques « traditionnels » du fait qu’ils évoluent de manière dynamique – y compris sur une longue période, comme l’amiante – et que, normalement, leur potentiel de dommages ne peut être identifié dans toute son ampleur qu’a posteriori.

Caractéristiques des risques émergents

Les risques émergents possèdent souvent les caractéristiques suivantes :

  • en raison du « principe tous risques » prédominant dans le secteur de la responsabilité civile (tout est couvert, sauf ce qui est expressément exclu), les risques émergents sont souvent déjà inclus dans les portefeuilles des assureurs sans qu’ils en aient vraiment conscience ;
  • l’estimation traditionnelle des risques n’est pas applicable car la probabilité d’occurrence du risque ainsi que l’ampleur possible du dommage ne sont pas connues ;
  • dans notre monde globalisé, les risques émergents ne peuvent pas être délimités par branches ni par zones géographiques ;
  • les risques émergents sont difficilement identifiables. La perception du danger peut être très diverse, elle est compliquée à décrire et à évaluer ;
  • le lien de causalité adéquate entre la source du risque (cause) et le dommage consécutif (effet) ne peut souvent pas (encore) être prouvé ;
  • les risques émergents sont dynamiques, c'est-à-dire qu'ils évoluent en permanence. Les progrès technologiques, les nouvelles découvertes scientifiques, mais aussi les changements conjoncturels ou encore l’évolution des conditions d’exercice aux niveaux juridique ou social constituent ce que l'on appelle le « risque lié aux changements » et donnent du fil à retordre aux souscripteurs en responsabilité civile.

En fait, les risques émergents entraînent une modification de la nature et de l'étendue des risques. Pour l’assureur, l'important, c’est de tenir compte des engagements de couverture déjà pris. Il a défini ses tarifs de primes en fonction des risques existants et ne saurait imposer les augmentations de primes nécessaires pour couvrir les nouveaux risques supplémentaires et / ou l'étendue de la couverture concernant ces engagements au même rythme que cette aggravation des risques.

Risque lié aux changements – le paramètre spécifique à l’assurance

Du point de vue de l’assureur responsabilité civile, les paramètres qui sous-tendent les risques émergents peuvent être subdivisés comme suit :

  • aspects sociaux / économiques,
  • développements juridiques et
  • développements technologiques et scientifiques.

Concernant les risques présentés ci-après, les différents aspects de ces développements et leur influence sur le paysage des risques doivent impérativement être considérés au regard du fait que nous évoluons ici dans un environnement extrêmement dynamique et que l'image des risques émergents décrits et, par conséquent, leur assurabilité peuvent bouger dans un sens ou dans l'autre.

Aspects sociaux / économiques

Notre perception du droit s’étant modifiée, nous rejetons de plus en plus l’idée qu’une personne lésée doive supporter elle-même un dommage comme son propre risque inhérent à la vie (mentalité revendicatrice). Certains risques se transforment avec l’évolution de la société et marquent de manière déterminante notre société du risque actuelle. Les changements suivants revêtent une importance particulière :

  • besoin accru de sécurité et moindre acceptation du risque,
  • informations de meilleure qualité et plus complètes sur les risques,
  • influence des réseaux sociaux,
  • modification de la perception des risques,
  • intensification de l’action des groupes de pression sous forme de recours collectifs organisés,
  • société de l’art de vivre et du jeunisme (chirurgie esthétique, thérapies hormonales, certains sports extrêmes, etc.).

Lorsqu’il s’agit de débattre sur les risques présumés et réels de la vie quotidienne, que ce soit l’électrosmog, les organismes génétiquement modifiés (OGM) utilisés dans les aliments ou bien les nanoparticules, les scientifiques, les responsables politiques, les associations de protection des consommateurs, les autorités ainsi que les médias, tous entendent bien contribuer à la discussion. La principale interrogation, à savoir l’ampleur réelle du ou des risques, demeure fréquemment sans réponse. C’est pourquoi la perception du risque de chacun revêt une importance particulière.

Paradoxalement, l'être humain accepte relativement facilement de courir des risques dont il croit connaître les conséquences possibles, voire probables. Il traverse lorsque le feu est rouge, il effectue des dépassements en voiture sans avoir de visibilité, il inhale la fumée de cigarette cancérigène, il ne se nourrit pas correctement ou encore il pratique des sports en vogue particulièrement risqués. Seuls les risques inconnus lui font vraiment peur.

Par expérience, les risques surestimés et ressentis comme dangereux sont principalement ceux qui sont présentés sous un angle dramatique, à grand renfort de photos et de vidéos, et dont la survenance brutale se traduit par de nombreuses victimes, comme un crash d’avion. Les risques insidieux, qui se produisent à intervalles réguliers (cent accidents de la circulation causant un mort à chaque fois) sont à l’inverse ressentis comme étant moins graves.

À cet égard, il faut également prendre en compte le rôle des médias. Certains ont souvent tendance à déformer les faits et à mettre en avant des détails peu importants mais susceptibles d’influencer l’opinion publique et d’éveiller également des peurs ici et là. Cela entraîne chez de nombreuses catégories de la population un besoin de sécurité accru, souvent accompagné de mesures officielles adéquates.

Les multiples effets de la mondialisation peuvent être considérés comme un risque émergent s’inscrivant dans un contexte économique. Il s’agit ici notamment de la concentration géographique – déjà réalisée dans certains cas – des sites de production dans des pays à bas salaires, laquelle induit une production de masse, avec le risque que les critères de qualité escomptés ne soient pas respectés. La multiplication des rappels de produits électriques ou électroniques en dit long à ce sujet. Par ailleurs, la mise en place de ré-seaux de communication, de recherche, de commerce et de transport à l'échelle mondiale a créé des conditions permettant une diffusion à grande échelle et de plus en plus rapide des innovations et des produits.
Les distances spatiales perdent de leur importance et les risques cachés, au lieu d’être ponctuels et limités géographiquement, peuvent se manifester par des dommages étendus, cumulés et survenant dans le monde entier.

Développements juridiques

Les paramètres / sources à l’origine des risques émergents décrits précédemment entraînent régulièrement des modifications du cadre juridique. Celles-ci peuvent correspondre à des modifications de la loi, mais également à des évolutions de la jurisprudence.

En ce qui concerne les risques émergents s’inscrivant dans un contexte juridique, les personnes chargées d’appliquer le droit sont confrontées à la question de la responsabilité dans le cas des risques de développement. Il y a risque de développement si une chose ou un acte, au moment de sa mise en circulation (responsabilité du fait des produits), de l’émission (environnement) ou de la conclusion du contrat (responsabilité du fait du contrat), possède un potentiel de dommages que l’état des connaissances scientifiques et techniques (en tenant compte de la recherche et du développement au niveau mondial) ne permet pas d’identifier.

Une personne a par exemple lancé un nouveau produit sur le marché, et celui-ci a provoqué des dommages de développement qu’elle ne pouvait pas prévoir et qui ne sauraient lui être reprochés : est-elle néanmoins tenue de réparer les dommages commis, ou le lésé est-il condamné à les assumer ? En Suisse, mais également en Europe, cette question a été tranchée par le législateur de diverses manières en fonction de la norme de responsabilité applicable.

Les durcissements des règles de responsabilité sous diverses formes, considérés d’un point de vue global, s’avèrent également une source de risques émergents. Il s’agit par exemple de l’extension des responsabilités pour risques indépendantes de la faute, de la diminution des possibilités de décharge, du prolongement des délais de prescription ainsi que de l’augmentation des prestations de dommages-intérêts et des prestations versées à titre de réparation morale. À cet égard, il faut mentionner également la mise en œuvre, dans plu-sieurs pays, de nouveaux instruments permettant de faire valoir plus facilement des prétentions en dommages-intérêts (par exemple les plaintes collectives).

Le système juridique américain, difficilement prévisible pour les Européens, et les décisions de justice qui en découlent, souvent incompréhensibles, doivent également être qualifiés de risque juridique émergent au sens large.

Développements technologiques et scientifiques

Le progrès scientifique et technique, toujours plus rapide, est non seulement à l’origine de technologies com-plètement nouvelles, comme le génie génétique ou l’application de l’intelligence artificielle, mais a également permis à des technologies déjà connues de prendre de nouvelles dimensions. Ces technologies seront amenées à changer le monde, comme l’ont déjà fait les technologies de l’information (IT). Il convient alors de se demander comment ces nouveaux domaines, et en particulier la part d’inconnu qu’ils renferment, doivent être gérés. Les opportunités résultant de ces (nouvelles) technologies doivent pouvoir être exploitées sans que les dangers qui y sont éventuellement associés dépassent les limites du raisonnable.

Au cours des dernières années, les assureurs responsabilité civile ont été confrontés à plusieurs reprises à des substances, produits et sources de risque dont les conséquences nocives pour la santé sont en partie avérées, mais en partie présumées seulement. Grâce à l’amélioration constante des méthodes de mesure techniques, médicales et scientifiques, il faut s’attendre à ce que d’autres produits et substances considérés jusqu’à présent comme inoffensifs soient identifiés comme nocifs. Des techniques toujours plus affinées permettent parallèlement de déterminer de manière encore plus précise le responsable des dommages et entraînent une multiplication des prétentions en dommages-intérêts.

La plupart de ces substances et sources de risque ont un point commun : les atteintes à la santé ne sont détectables qu’après un laps de temps considérable. L’ampleur complète des risques connexes en matière de responsabilité civile pour le responsable et son assureur sera donc également découverte uniquement a posteriori. Ce phénomène a été parfaitement illustré dans le cas de l’amiante. Pendant des décennies, l’amiante fut considéré comme le matériau des mille et une possibilités, car, contrairement à d’autres fibres, il possède des propriétés optimales pour de nombreuses applications techniques. Des produits contenant de l’amiante ont été utilisés comme panneaux, nattes ou matière à mouler pour la protection incendie et l’isolation thermique, comme garnitures de frein et d’embrayage dans le secteur de la construction automobile ainsi que comme joints en cas de sollicitations thermiques ou chimiques élevées. L’amiante a également été utilisé pour fabriquer des produits en fibrociment. L’amiante est dangereux lorsque ses fines particules sont inhalées et que celles-ci atterrissent par les voies respiratoires dans les poumons où elles sont susceptibles de provoquer différentes maladies comme le cancer de la plèvre (mésothéliome) ou des poumons. Bien qu’une interdiction générale de l’amiante ait été décrétée en 1990 en Suisse, des atteintes à la santé provoquées par l’amiante, notamment en cas de réalisation inappropriée des travaux de désamiantage, ne peuvent pas être complètement exclues aujourd’hui encore. Aux États-Unis, le fait de craindre une pathologie due à l’amiante (fear of Asbestos) suffit à justifier une prétention de dommages-intérêts, sans nécessiter un diagnostic médical explicite.

Dans la problématique liée aux substances toxiques présentes dans les bâtiments ou dans les sols, il ne s’agit pas d’un nouveau risque de responsabilité civile. Bien au contraire : ce sont généralement des potentiels de risque parfaitement connus dans de nombreux cercles. Si certains polluants et leurs effets font régulièrement l'objet d'une attention particulière, c'est non seulement en raison des possibilités de détection plus fines des dommages évoquées plus haut, mais aussi de la sensibilisation accrue de la population et des autorités en charge de l'environnement et de la santé. En dépit des assainissements importants déjà effectués sur des bâtiments comportant des substances toxiques et des sols pollués, et malgré les interdictions dans ce domaine, les assureurs responsabilité civile se verront encore confrontés pendant des années à des demandes de dommages-intérêts élevées par des personnes contaminées, car des substances toxiques, pour certaines encore inconnues, sont toujours présentes dans de nombreux endroits. En l’espèce, on ob-serve alors souvent un phénomène de risque dit « réémergent ».

La connexion d’objets avec Internet (l’Internet des objets (IoT), Internet of Things / Industrie 4.0) ne cesse de gagner en importance. Elle se caractérise par la miniaturisation et l’intégration de la microélectronique dans des objets, ainsi que par sa connexion sans fil. L'idée d'être en permanence entouré de nombreuses puces et capteurs communiquant entre eux suscite des craintes quant aux risques éventuels pour la santé, mais aussi pour la vie privée (attaque de la sphère privée). Que des objets réagissent également depuis peu à leur environnement sans nécessiter l’intervention de l’utilisateur laisse sceptique.