Fon­taine de jou­vence pour la ré­forme des re­traites

Contexte10 juin 2021

Esquisse d'un régime de retraite favorable aux générations futures – ou comment les Jeunesses des partis entendent enclencher le processus de réforme bloqué par leurs aînés. Une alliance des sections Jeunes des partis bourgeois-libéraux souhaite rendre la prévoyance vieillesse davantage favorable aux générations futures. Une présidente et trois présidents racontent comment ils veulent mettre la réforme de la prévoyance vieillesse sur les rails.
 

Lorsque l’on est jeune, on ne devrait pas avoir à se soucier de sa propre retraite. Les jeunes devraient pouvoir savourer pleinement la vie, explorer les limites de leur liberté, échafauder des plans audacieux, se montrer rebelles, sauver le monde, oser partir à l’aventure, découvrir de nouvelles choses et investir dans leur propre formation. C’est la seule manière d’avancer pour une société. C’est le privilège des jeunes de ne pas être les larbins de l’ancien système. Il devrait en être ainsi, au moins un certain temps.

Ironie de l’histoire

Or, la jeunesse vieillit très vite de nos jours. Les jeunes de 16 ans se préoccupent de sujets aussi austères que le vieillissement de la population, les déductions salariales, la redistribution et l’épargne-retraite. Les fonctionnaires de Berne s’en félicitent et constatent avec satisfaction que les adolescents font preuve d’une certaine « conscience de la problématique » de la prévoyance vieillesse alors qu'ils ne sont même pas encore entrés dans la vie active. Voilà des années que le niveau de leurs propres rentes est inscrit au hit-parade des inquiétudes des jeunes suisses. Ce n’est pas le cas de leurs homologues du même âge à Singapour, aux États-Unis ni au Brésil.

Ce phénomène ne devrait pas être un sujet de réjouissance pour les fonctionnaires bernois. Lorsque dans une société moderne – notamment l’une des plus riches au monde – la plus grande préoccupation des jeunes de 16 à 19 ans, c’est leur rente de vieillesse, il y a quelque chose qui ne va pas. Il est évident que leurs « aînés » sont responsables de cette situation. Cela fait des décennies qu’ils n’arrivent pas à mettre en place une prévoyance vieillesse pérenne et durable dans le meilleur sens du terme – tout en sachant pertinemment que les problèmes qu'ils engendrent, ce sont leurs enfants et leurs petits-enfants qui devront se débattre avec.
 
Régulièrement glorifiée comme le plus grand acquis social, l’AVS est passée en quelques décennies du statut de « bienfait » à celui de « tourment ». Pourtant, elle avait été créée en 1948 justement pour atténuer la peur de la pauvreté une fois à la retraite. Quelle ironie de l’histoire ! Le Conseil fédéral et le Parlement se sont montrés incapables de mettre en route les réformes nécessaires et urgentes. L’AVS devient dès lors de plus en plus ce que, à tout bien considérer, elle était en fait dès le départ avec son système de répartition : un système de Ponzi au détriment des jeunes et des actifs ainsi que des générations à naître. Or, parler de ces choses-là est souvent tabou. Le fait que ce système s’immisce aussi de plus en plus en prévoyance professionnelle et redistribue l’argent des jeunes vers les anciens, allant en cela à l’encontre de la logique du principe de la capitalisation, ne simplifie pas les choses, au contraire.

Note : insuffisant

De temps en temps, David Trachsel, président des Jeunes UDC Suisse, se rend dans une salle de classe et demande aux élèves s’ils pensent qu’ils toucheront plus tard une rente de vieillesse, comme celle que perçoivent aujourd’hui leurs grands-parents. Le résultat de ce petit sondage est presque toujours le même, explique-t-il. Dans leur grande majorité, les jeunes sont pessimistes et n’ont aucun espoir de percevoir une rente de vieillesse comme celle d’aujourd’hui. « Dans les classes les plus optimistes, un tiers des jeunes croient encore en la prévoyance vieillesse », annonce Trachsel. Les adolescents donnent donc indirectement une note plutôt mauvaise à la politique en place et à son administration : insuffisant.

Portrait David Trachsel

David Trachsel (1994) est président des Jeunes UDC et député au Grand conseil du canton de Bâle-Ville. Il a un bachelor en économie d’entreprise et travaille comme conseiller clientèle au sein d’une fiduciaire. Il est également directeur de l’association de consommateurs « Vision Konsum ».

« Le deuxième pilier doit de nouveau être financé selon le principe de la capitalisation sans redistribution. »

D’aucuns pourraient objecter qu’il ne s’agit là rien de plus que d'une preuve anecdotique. Or, les résultats de ce petit sondage privé reflètent ce que le Baromètre de la jeunesse du Crédit Suisse met en évidence depuis des années. Il est intéressant de noter que les jeunes ne connaissent à vrai dire pas très bien le système suisse de la prévoyance. « Les connaissances concrètes de la prévoyance vieillesse sont extrêmement faibles chez les jeunes comme dans le reste de la population », déclare Tobias Vögeli, co-président des Jeunes vert’libéraux. « Les jeunes sont peut-être novices en la matière », commente David Trachsel, « mais ils sentent intuitivement que quelque chose est pourri. Car ils savent faire preuve de logique. » C’est indéniable - il est évident que des promesses de rentes qui ne reflètent pas la réalité démographique ne peuvent être tenues sur le long terme. « À l'heure actuelle, la prévoyance vieillesse n'est tout simplement pas pérenne », s’inquiète Sarah Bünter, présidente des Jeunes du Centre Suisse.

Compte tenu de la complexité de ce sujet et des effets de rétroaction opaques dans l'interaction avec d'autres mesures de l'État-providence, il n'est pas surprenant que les connaissances sur le système de prévoyance soient limitées. Même les écoles pourraient probablement faire plus dans ce domaine. Mais quand on est jeune, d'autres sujets sont prioritaires. « Lorsqu’on a une vingtaine d’années, il est normal de ne pas s'intéresser aux prestations complémentaires », affirme Matthias Müller, président des Jeunes Libéraux-Radicaux. Tout cela ne serait d’ailleurs pas bien grave si les « aînés », c'est-à-dire ceux qui sont actuellement en fonction, remplissaient correctement leur mission.
 

Le marchandage des anciens

Or, les politiques sont loin du compte en la matière. Même les dernières propositions de réformes ne laissent guère espérer un tournant imminent dans le sens d'un financement solide des rentes de vieillesse. « Aujourd'hui, les réformes n'ont une chance - si tant est qu'elles en aient une - que si elles sont généreusement garnies d'édulcorants », commente Matthias Müller. C’est précisément la raison pour laquelle la prévoyance professionnelle est même menacée de devenir une mini-AVS. « Il faut à tout prix éviter cela », poursuit Müller. Un tel mécanisme irait non seulement à l’encontre de la logique du système, mais il constituerait une réforme de plus qui ne serait pas durable. Sur cette question, les Jeunesses des partis bourgeois-libéraux sont bien d’accord. « La durabilité est le signe des temps », déclare Sarah Bünter, « qu'il s'agisse de questions environnementales ou de la prévoyance vieillesse. »

C'est la raison pour laquelle les sections jeunes des partis bourgeois-libéraux n’ont pas l’intention de tolérer plus longtemps le marchandage opaque de leurs prédécesseurs. Alors que la Jeunesse socialiste rêve, et tout le parti avec elle, d'une retraite populaire avec un degré de redistribution quasi maximal, les Jeunes libéraux-radicaux, du Centre, UDC, vert'libéraux et du PEV ont formé une alliance pour que la prévoyance vieillesse soient enfin adaptée aux générations à venir.

Portrait Tobias Vögeli

Tobias Vögeli (1995) est co-président des Jeunes vert’ libéraux et membre du comité directeur de pvl Suisse. Il suit des études de droit à Berne depuis 2016. Depuis 2018, il est responsable des finances en tant que conseiller communal (exécutif) de Frauenkappelen (BE).

« Nous n’arriverons à réformer la prévoyance que si nous unissons nos forces dès maintenant. »

« Si les partis bourgeois ne font pas front commun, nous ne parviendrons pas à faire passer les réformes nécessaires », avoue Sarah Bünter. « Et ne rien faire, ajoute Matthias Müller, entraînerait des dommages collatéraux que personne ne saurait souhaiter, surtout pas les jeunes. » L'alliance des partis des jeunes des différents partis s’est constituée face à cette nécessité – justement dans la perspective de ces dommages collatéraux imminents, explique Tobias Vögeli. Des divergences existent bien entre elles sur cette question. « Mais, nous n’arriverons à réformer la prévoyance que si nous unissons nos forces maintenant. »

Que faut-il donc qu’il advienne ? Il n’est pas prévu de s’écarter radicalement du système des trois piliers. « C’est l’un des meilleurs au monde », estime Matthias Müller. La logique a beau être sage, les règles du jeu ne sont plus respectées. Les « anciens » ne montrent aucune volonté politique à vouloir adapter les prestations ou l’âge de la retraite à l’évolution démographique ni à celle des marchés. Du fait de cette inertie politique, l’AVS mais aussi la prévoyance professionnelle se retrouvent dans une situation de plus en plus critique. Les caisses de pension ont besoin de toujours plus d’argent pour acquitter les rentes. Et, cet argent, elles le prennent aux actifs, bafouant ainsi le principe de la capitalisation.

Portrait Sarah Bünter

Sarah Bünter (1993) est présidente des Jeunes du Centre Suisse ; elle travaille dans une agence spécialisée dans l’aménagement du territoire et suit un master de relations internationales à l’université de St-Gall. Elle est également membre de la direction du PDC de la ville de St-Gall et membre du comité directeur du PDC de la région de St-Gall/ Gossau.

« À l'heure actuelle, la prévoyance vieillesse n'est tout simplement pas pérenne. »

Près de sept milliards de francs sont chaque année redistribués des jeunes vers les plus vieux dans le deuxième pilier. Les Jeunesses des partis n’entendent pas tolérer cela plus longtemps. « Le deuxième pilier doit de nouveau être financé selon le principe de la capitalisation sans redistribution », déclare David Trachsel. C’est la raison pour laquelle dans leur réponse commune issue de la consultation relative à la réforme du deuxième pilier, les partis des jeunes réclament une dépolitisation du taux de conversion. « Dorénavant, le taux de conversion doit être défini automatiquement selon des critères actuariels objectifs comme l’espérance de vie ou l’évolution du marché », commente Sarah Bünter.

Travailler doit être incitatif

Pour les sections jeunes des partis, l’adaptation de l’âge de la retraite à l’allongement de l’espérance de vie devrait être effective depuis longtemps. « Il faut supprimer le départ obligatoire à la retraite », proclame Tobias Vögeli. Bien au contraire, l’âge de la retraite devrait à la fois être relevé rapidement et rendu plus flexible. La flexibilisation permet de renforcer la responsabilité individuelle. « Celui qui travaille plus et plus longtemps doit percevoir une rente supérieure, rien de plus normal », confie Matthias Müller. L’exigence du relèvement de l’âge de la retraite devrait rester à l’ordre du jour du calendrier politique, d’autant plus que les Jeunes Libéraux-Radicaux doivent déposer cet été leur initiative sur les rentes.

D'une manière générale, les Jeunesses des partis s’entendent sur le fait que continuer de travailler doit en valoir la peine, et ce de manière très nette. « Nous ne pouvons nous permettre de conserver notre généreux système de protection sociale que si nous cultivons et préservons notre éthique de travail typiquement suisse », avance David Trachsel. Or, actuellement, toute une série de mesures de l’Etat-social vont totalement à l’encontre de ce principe. Il s’agit notamment de la progression de l’impôt, des rabais de primes ou des subventions pour les crèches. Celui qui réduit de son propre chef son temps de travail pour avoir plus de temps libre a de bonnes chances d’avoir droit à de telles subventions publiques. « Beaucoup n’ont pas du tout conscience, dit Sarah Bünter, à quel point les personnes qui choisissent de travailler moins, alors qu’elles pourraient tout à fait travailler plus, sont de nos jours favorisées. »

Il ne faut plus qu’il y ait de telles incitations en prévoyance vieillesse. Les partis des jeunes entendent introduire un système de bonus/malus couplé à un âge de référence. Celui qui travaille plus et plus longtemps perçoit alors une rente plus élevée. Conséquence logique de cette flexibilisation, il faut que le travail des personnes âgées soit plus attractif, avance Matthias Müller, et d’évoquer dans ce contexte un impôt réduit sur les revenus. Par ailleurs, une harmonisation des bonifications de vieillesse s’impose, car ce sont elles qui entraînent le renchérissement artificiel du travail des salariés plus âgés.

Nouveau monde du travail

« La réforme de la prévoyance vieillesse doit également tenir compte des changements de parcours dans le monde du travail moderne », précise Sarah Bünter. Travailler pour le même employeur toute sa vie durant sans aucune interruption de l’activité professionnelle, ce concept est dépassé. De nos jours, on travaille par projets, éventuellement pour plusieurs employeurs en même temps, parfois avec des pauses de l’activité lucrative ou à temps partiel comme indépendant. Le système actuel n’est pas (vraiment) onçu pour de tels « cas de figure spécifiques ». C’est ce que les sections jeunes des partis entendent changer. La déduction de coordination doit être réduite voire supprimée, car elle pénalise les travailleurs à temps partiel dans le cadre de la prévoyance professionnelle. Par ailleurs, il faut que les jeunes adultes puissent cotiser dans le deuxième pilier dès 18 ans, et pas seulement à partir de 25 ans – ceci dans l’intérêt de tous ceux qui ont effectué un apprentissage professionnel et arrivent sur le marché du travail plus tôt que les universitaires. Cela permettrait de compenser au moins partiellement les revenus généralement moins élevés de ceux qui n'ont pas de diplôme universitaire.

En résumé, il faut reconnaître que le concept des sections jeunes des partis bourgeois-libéraux est empreint de raison, de pragmatisme et d’un sens prononcé des réalités et non de calcul politique ni d’envie de se démarquer. Rien d’étonnant à ce qu’il soit accueilli favorablement par les professionnels. Économiste spécialiste de l’assurance et professeur à l’université de St-Gall, Martin Eling a déclaré à la NZZ am Sonntag qu'il appréciait le projet de réforme des jeunes politiciens parce qu'ils ne poursuivent pas en premier lieu leurs propres intérêts mais sont à la recherche de solutions équitables.
 

Portrait Matthias Müller

Matthias Müller (1992), président des Jeunes Libéraux- Radicaux, a étudié le droit et l’économie à l’université de St-Gall. Il prépare actuellement un doctorat en droit des OPA à l’université de Zurich et travaille au sein d’un cabinet d’avocats d’affaires à Zurich comme avocat stagiaire.
 

« Et ne rien faire entraînerait des dommages collatéraux. »

Les partis des jeunes veulent lancer une large campagne pour faire connaître leur concept. Il faut espérer qu'ils y parviendront. Après tout, ce n'est rien de moins que le bon vieux contrat entre les générations qui est en jeu.

Prévoyance vieillesse : le parlement est mis à l’épreuve

En novembre 2020, le Conseil fédéral a soumis au Parlement le message relatif à la réforme de la prévoyance professionnelle. Pour l’Association Suisse d’Assurances ASA, le cœur du projet repose sur la réduction incontournable et urgente du taux de conversion minimal LPP à 6,0 pour cent en une seule étape. Cela implique une compensation ciblée et appropriée dans le cadre du deuxième pilier en faveur de la génération de transition particulièrement touchée.

L’ASA rejette néanmoins clairement le supplément de rente préconisé par le Conseil fédéral, car ce dernier n’est pas limité dans le temps et est censé être financé selon le principe de la répartition,  contraire  à  la  logique du système. En février 2021, la Commission de la sécurité sociale et de la santé du Conseil national (CSSS-N) est entrée en matière sur le projet à l’unanimité. Dès août 2019, le Conseil fédéral avait adopté le message relatif à la stabilisation de l’AVS. Lors de la procédure de consultation, l’ASA avait déjà souligné que des adaptations s’imposaient, ceci aussi bien concernant les recettes que les prestations.

En février 2021, la Commission de la sécurité sociale et de la santé du Conseil des États (CSSS-E) a mis fin à la discussion par article. Les délibérations au sein des deux chambres se dérouleront courant 2021.
 

Glossaire

Le premier pilier de la prévoyance vieillesse, l’AVS, est financé selon le principe de la répartition. Cela signifie que les dépenses courantes (essentiellement des rentes) sont couvertes par les recettes en cours (essentiellement les cotisations salariales, patronales et fédérales ainsi que le produit de la TVA).

Le deuxième pilier, la prévoyance professionnelle, est financé selon le principe de la capitalisation. Chaque personne assurée accumule pendant sa vie active un avoir de vieillesse auprès de la caisse de pension, à l’instar d’un compte d’épargne.

Des bonifications de vieillesse annuelles versées à la caisse de pension viennent alimenter cet avoir de vieillesse. Elles sont déterminées en pour cent du salaire coordonné. Leur montant est fonction de l’âge de la personne assurée.

La déduction de coordination s’élève à 7/8e de la rente AVS simple maximale (25 095 francs en 2021). Cette portion du salaire ne donne droit à aucune bonification de vieillesse.

Conjugué à l’avoir de vieillesse disponible au moment de la retraite, le taux de conversion détermine le montant de la rente issue du deuxième pilier. Un taux de conversion de six pour cent signifie qu’une personne retraitée touche
6000 francs par an pour chaque tranche de 100 000 francs épargnée sur son avoir de vieillesse.

Cet article a été publié dans le magazine annuel de l'ASA «View» .