Faut-il de nou­velles règles pour l'in­tel­li­gence ar­ti­fi­cielle dans l'as­su­rance?

Interview31 octobre 2023

L’ASA prend position et recommande six principes applicables à l’IA en assurance. Sandra Kurmann, directrice de la division des conditions cadres ASA, revient sur les recommandations sectorielles concernant le recours à l’IA dans un court entretien et explique ce à quoi les clients et clientes peuvent s’attendre dans ce domaine à l’avenir.

L’intelligence artificielle (IA) est déjà bien présente dans le quotidien des clients et des clientes, que ce soit sous forme de chatbots toujours serviables sur les sites web des assureurs ou en arrière-plan dans le cadre du traitement des sinistres. Les clients et clientes ne sont bien souvent pas conscients du nombre de domaines utilisant l’IA et ignorent quel sera à l’avenir l’interlocuteur auquel ils auront à faire.

 

 

Sandra Kurmann

Il faut s’assurer que le recours à l’IA soit bien signifié à la clientèle: Sandra Kurmann, directrice de la division des conditions cadres ASA.

Quelle est l’importance de l’IA dans le secteur des assurances? Comment l’IA est-elle utilisée actuellement? 

Dans le secteur de l’assurance, l’IA est utilisée sous différentes formes. On peut classer les domaines d’application en quatre catégories: premièrement pour l’optimisation / l’automatisation de processus internes répétitifs, notamment dans le règlement des sinistres, deuxièmement dans l’amélioration de l’évaluation des risques, meilleure prévision et lutte contre la fraude à l’assurance, p. ex. par des modèles actuariels, troisièmement, pour l’amélioration de l’expérience client dans le domaine des services, p. ex. par des agents conversationnels [en anglais, chatbots] comme ChatGPT et quatrièmement, pour le développement de nouveaux produits en s’appuyant sur de nouvelles sources de données et des canaux de distribution appropriés, p. ex. assurance retard de vol [en anglais, Flight Delay Insurance].

En la matière, il convient de noter que les points forts de l’IA résident à l’heure actuelle surtout dans la prise en charge de tâches largement répétitives ou dans des domaines impliquant l’analyse de grandes quantités de données. La décision en elle-même continue toutefois d’être prise ou validée par une personne.

 

Comment le secteur de l’assurance assume-t-il la responsabilité numérique? Cela serait-il également possible sans l’IA? 

Le cadre réglementaire dans lequel le secteur de l’assurance exerce est étroit et donne la priorité à la protection des preneurs et preneuses d’assurance. Il faut s’assurer que le recours à l’IA soit bien signifié à la clientèle. En matière d’utilisation des données surtout, les nombreuses dispositions légales garantissent la protection, la transparence ainsi que la traçabilité des données et contribuent à la lutte contre la discrimination et la manipulation. Le droit de la protection des données fixe un cadre approprié pour le traitement des données et la protection de la sphère privée.

L’intelligence artificielle (IA) recèle le potentiel nécessaire pour améliorer l’efficacité, la précision et la qualité des processus le long de la chaîne de création de valeur de l’assurance. La réussite d’une compagnie et sa compétitivité sont largement fonction du recours ou non à l’IA. Les assurances qui feraient l’impasse sur l’utilisation d’une telle technologie de pointe ne manqueraient pas de péricliter à moyen et long termes.

«L’humain restera l’«autorité suprême» en tant que décideur dans le secteur de l’assurance et restera donc indispensable.»

Quels sont les risques de l’IA pour les clientes et clients du secteur de l’assurance? Pourquoi faut-il des recommandations en matière de recours à l’IA dans le secteur des assurances et quelles sont les attentes de l’ASA dans ce domaine?

Les clients et les clientes craignent parfois de devenir des preneurs d’assurance «transparents» en raison de l’augmentation de la quantité de données disponibles et du recours à l’IA. Il convient ici de vérifier si cela correspond à la réalité: il s’agit de systématiquement mettre en balance ce qui est techniquement possible, ce qui est socialement acceptable et ce qui est autorisé par la réglementation. Les assureurs sont conscients de leur rôle et de leur responsabilité envers leurs clients et clientes, et prennent de nombreuses mesures dans le domaine de la gouvernance d’entreprise afin de compléter le cadre réglementaire étroit existant et de satisfaire, le cas échéant, aux principes éthiques de manière adéquate. C’est précisément ce que les assureurs privés souhaitent faire savoir avec la recommandation sectorielle, de manière transparente, au régulateur et à l’autorité de surveillance, ainsi qu’à leurs clients et clientes. Le modèle commercial des assureurs consiste à prendre des risques et à les gérer, et cette gestion attentive des risques se retrouve également dans l’utilisation des nouvelles technologies.

 

Pour de nombreux clients et clientes, les assurances sont une question complexe. Ils redoutent par conséquent que dans un avenir relativement proche, il n’y ait plus d’humains dans les assurances, mais uniquement des robots. Est-ce un scénario plausible? 

La mission et le but d’une assurance consistent en la prise en charge de risques, ce qui permet d’améliorer la situation financière de la personne assurée et la résilience de l’économie dans son ensemble. L’accent est ici mis sur les besoins des clients et des clientes. Même si les collaborateurs et collaboratrices peuvent être aidés et délestés dans leur travail par des outils utilisant l’IA, l’humain restera l’«autorité suprême» en tant que décideur dans le secteur de l’assurance et restera donc indispensable. Cela vaut en particulier dans le traitement des sinistres. Quoi qu’il en soit, les clients et clientes qui souhaitent un conseil personnalisé continueront à trouver auprès des assureurs un interlocuteur qui les conseillera personnellement et individuellement.

Comment se positionne le secteur de l’assurance comparativement aux autres branches en matière de responsabilité numérique? 

L’étude Ethos 2022 énumère sept principes en matière de responsabilité numérique, dont la mise en place d’un code de responsabilité numérique, la garantie de la transparence ainsi que le respect de la protection des données et de principes éthiques. Il ressort de la comparaison toutes industries confondues que, comme l’année précédente, le secteur de l’assurance est celui qui semble le plus avancé en matière d’application de ces principes. En effet, les assureurs privés prennent déjà de nombreuses mesures pour tenir compte des points cités, notamment dans le domaine de la gouvernance d’entreprise. C’est également sur cette problématique que porte la recommandation sectorielle de l’ASA.

Recommandation de l’ASA relative au recours à l’intelligence artificielle (IA)

Version: septembre 2023

  1. Priorité à l’intervention humaine
    La compagnie d’assurances met l’accent sur l’être humain en tant que décideur et garantit un contrôle approprié des systèmes et des algorithmes par le biais de mécanismes ad hoc. En la matière, les résultats obtenus par l’IA doivent également pouvoir être vérifiés et contrôlés par l’organisation.
     
  2. Bien-être social et environnemental
    Lors du recours à l’IA, la compagnie d’assurances garantit une utilisation des données mesurée, durable et créatrice de valeur ajoutée pour la clientèle et les parties prenantes.
     
  3. Protection de la sphère privée, gestion de la qualité des données et transparence
    La compagnie d’assurances veille au respect de la loi sur la protection des données, garantit un standard de qualité adéquat en matière d’origine et de traitement des données et affiche la transparence requise relative aux décisions individuelles automatisées.
     
  4. Impartialité
    La compagnie d’assurances applique des mécanismes appropriés pour garantir l’impartialité lors du recours à des procédés reposant sur l’IA. Elle respecte à cet égard les directives actuarielles (p. ex. tests statistiques).
     
  5. Gouvernance et responsabilité
    La compagnie d’assurances met en place des mécanismes de gouvernance adaptés à l’application considérée et chargés de garantir l’évaluation des risques, la définition des responsabilités et l’assurance qualité relatives aux algorithmes et aux systèmes d’IA.
     
  6. Robustesse technique et sécurité
    La compagnie d’assurances évalue régulièrement les situations dans lesquelles les algorithmes d’IA pourraient ne pas ou ne plus fonctionner correctement afin d’y apporter des réponses rapides et transparentes. Elle préserve ainsi la robustesse technique et la sécurité des systèmes