«Mé­de­cine per­son­na­li­sée» – meil­leure santé?

Interview30 janvier 2018

Le Professeur Thomas Szucs, membre du Comité directeur de l’ASA, est spécialiste de la pharmacogénétique et de la médecine personnalisée. Il s’intéresse à la médecine génomique depuis plusieurs années. Dans cette interview, il expose ce que signifient la «médecine personnalisée» et ses effets sur notre système de santé.

Quand est-il judicieux d’effectuer des analyses génétiques?

Par rapport à la LAGH (Loi fédérale du 8 octobre 2004 sur l'analyse génétique humaine), il existe de mon point de vue surtout six grands domaines où les tests génétiques humains sont utiles. Le premier domaine concerne les tests de diagnostic. En effet, il est avéré que le diagnostic de certaines maladies peut être étayé par un test génétique. A ce sujet, je pense par exemple à l’ataxie de Friedreich. Les examens prédictifs et présymptomatiques arrivent en deuxième lieu. Ici, il s’agit essentiellement de méthodes complexes pour le diagnostic de maladies particulièrement graves, comme la maladie de Huntington, pour lesquelles il n’existe souvent pas encore de traitement.

A quoi correspondent de tels tests génétiques prédictifs pour les patients?

La conséquence de tels tests est que le patient peut éventuellement devoir faire face à un diagnostic pour lequel il n’y a pas de traitement. Il faut donc qu’ils soient mûrement réfléchis. Comme le patient se retrouve généralement dans des circonstances très difficiles, son accord explicite est requis. Par ailleurs, il faut discuter préalablement des conséquences d’un diagnostic positif. En outre, en particulier dans le domaine des tests génétiques prédictifs, il s’agit aussi de prendre en compte le fait qu’il existe non seulement un «droit de ne pas savoir», mais aussi un «droit de savoir». C’est surtout dans le cas des maladies héréditaires que d’autres membres de la famille peuvent avoir un intérêt légitime à savoir si l’on est atteint par une certaine maladie ou non.
 
En parallèle, il existe naturellement aussi des maladies diagnosticables présymptomatiquement ou prédictivement pour lesquelles il est possible de faire un traitement, comme la polypose adénomateuse familiale. Elle concerne des personnes possédant de très nombreux polypes dans l’intestin, chez qui la probabilité de dégénérescence d’un polype est généralement très élevée. Les tests génétiques se révèlent particulièrement utiles lorsque cette prédisposition est présente dans la famille. 

Dans quels autres domaines les tests génétiques sont-ils également judicieux?

Selon moi, le quatrième domaine où les tests génétiques sont utiles est l’identification d’une prédisposition génétique. Dans le cas des analyses de prédisposition génétique, il s’agit de déterminer si quelqu’un est porteur d’une mutation ou d’une variante génétique et, en conséquence, s’il présente une prédisposition ou un risque plus élevé pour certaines maladies. Un exemple est fourni par le test BRCA où les patientes sont soumises à un test de dépistage du gène BRCA1, le «gène Angelina Jolie» pour les profanes. Dans ce cas concret, il s’agit d’une prédisposition pour le cancer du sein ou de l’ovaire. 

Les tests de porteur représentent encore un autre domaine. A ce sujet, les tests de dépistage de la maladie de Tay-Sachs parmi les juifs ashkénazes forment un cas d’école classique. Dans ce groupe, les tests ont une grande importance car on espère éviter, lors de la formation d’une famille, que la prochaine génération soit exposée à un risque accru de développer la maladie. 

Le dernier point, mais non des moindres: le diagnostic prénatal représente certainement un domaine d’application extrêmement important pour les analyses génétiques – un aspect partiellement lié à la question des porteurs de prédisposition. Le dépistage de la mucoviscidose rentre par exemple dans cette catégorie. Si cette maladie est présente dans une famille, il est fortement recommandé de tester le futur père ou respectivement la future mère. Comme les porteurs de la mucoviscidose sont particulièrement fréquents, le risque que la maladie surgisse chez l’enfant est aussi relativement grand. 

Prof. Dr. med. Thomas Szucs

 Professeur Thomas Szucs, membre du Comité directeur de l’ASA, spécialiste de la pharmacogénétique et de la médecine personnalisée

Que nous réserve l’avenir dans le domaine du dépistage génétique?

Outre les importants domaines mentionnés auparavant où le dépistage génétique apporte aujourd’hui déjà des avantages médicaux, il existe bien sûr actuellement d’autres développements prometteurs. Ainsi, la prochaine génération de méthodes de séquençage va ouvrir de toutes nouvelles possibilités dans le domaine de la reconnaissance précoce des anomalies génétiques, par exemple chez les nouveau-nés. Ici, le problème réside dans le fait que de nombreuses maladies, même celles qui ne sont pas forcément d’origine héréditaire car dues à une nouvelle mutation, ne sont parfois pas reconnues dès le début, mais seulement après quelques années. Chez un nouveau-né ou un petit enfant, il peut éventuellement être déjà trop tard car plus aucune option thérapeutique n’est alors disponible. C’est la raison pour laquelle ces méthodes génétiques modernes seront probablement de plus en plus utilisées dans le dépistage néonatal à l’avenir. C’est aussi important dans le cadre d’une révision de la LAGH car la loi ne doit pas être trop en retard par rapport aux avancées médicales en cours. 

Puisque nous sommes en train de parler des développements actuels, qu’entend-on par médecine personnalisée dans le contexte du dépistage génétique?

La médecine personnalisée est un terme employé depuis déjà quelques années, mais on parle aujourd’hui de plus en plus de «médecine de précision». A l’origine, la médecine personnalisée cherchait essentiellement à proposer les médicaments ou les traitements correspondant le mieux possible à l’architecture génétique d’un patient. Concrètement, cela signifie que, par rapport au médicament Y, on donne la préférence à un médicament X qui convient mieux à une certaine architecture génétique – la médication est donc personnalisée. 

En principe, la médecine de précision, appelée «precision medicine» en anglais, signifie la même chose que la «médecine personnalisée», mais elle va un peu plus loin au niveau du contenu. L’objectif est ici de mieux coordonner le traitement par rapport au diagnostic et avec le diagnostic. Comme nous disposons de plus en plus d’informations génétiques et génomiques – que ce soit en raison de schémas héréditaires (variantes dans la lignée germinale) ou par exemple de changements au niveau d’une tumeur (des mutations somatiques), il est possible d’ajuster de mieux en mieux les traitements aux besoins individuels des patients. Du point de vue des assurances, toutes les mesures qui évitent que des traitements soient effectués et payés alors qu’il est clair dès le départ qu’ils ne seront pas efficaces, sont bien sûr les bienvenues.

Quelles sont les conséquences des évolutions que vous décrivez sur le secteur suisse de la santé et les assureurs?

Les informations génétiques et la médecine génomique jouent un rôle de plus en plus important dans notre compréhension des maladies et de la santé. Certes, nous ne comprenons pas encore ces sujets dans leur intégralité, mais nous apprenons en permanence. C’est pourquoi il faut partir du principe qu’ils vont influencer durablement le secteur de la santé. 
 

Pouvez-vous nous donner un exemple pour la médecine génomique?

Il existe des marqueurs génétiques qui présentent un caractère très simple, p. ex. les marqueurs pharmacogénétiques. Ils déterminent si des personnes supportent mieux un médicament X ou Y d’un point de vue génétique ou, formulé d’une autre manière, si un certain médicament X ou Y est lié à un risque plus élevé au niveau des effets secondaires. Pour les assureurs et le secteur de la santé, il est naturellement souhaitable que les patients présentant les marqueurs pharmacogénétiques correspondants soient tenus à l’écart des médicaments qui leur sont «défavorables». A cette fin, il faut toutefois d’abord avoir reconnu et compris la situation génétique. Je peux donc m’imaginer qu’à l’avenir les patients connaîtront ici aussi leurs gènes pharmaceutiques et qu’il sera possible de leur prescrire les médicaments correspondants, comme cela se fait déjà dans d’autres pays.